Culture
Première répétition générale

19e édition pour l’opération «Théâtre dans les quartiers».
Sous la direction du metteur en scène Paul Grenier, près d’une quarantaine de comédiens amateurs revisitent 40 scènes mythiques du théâtre et du cinéma, du 1er au 5 juillet, au cœur de cinq quartiers ajacciens.

À la façon des troubadours et ménestrels d’autrefois, une troupe de comédiens un peu particulière sillonnera les quartiers ajacciens du 1er au 5 juillet, dirigée d’une main de maître par Paul Grenier. Arrivé en Corse il y a une trentaine d’années pour rejoindre le Théâtre Point créé par Francis Aïqui, ce Québécois fonde rapidement, avec son épouse Rachel, sa propre compagnie, Le Thé à Trois. Si cette dernière bouillonne d’un million de projets allant de la création et la diffusion de spectacles à de nombreux ateliers pour toutes les tranches d’âges, elle a avant tout à cœur de se servir de l’enseignement du théâtre comme créateur de lien social. Aussi, quand il y a 19 ans la direction de la culture de la Ville d’Ajaccio propose à la jeune compagnie de porter un projet ayant pour ambition d’amener le théâtre dans les quartiers, cela relève presque de l’évidence. Et c’est sans conteste grâce à la passion de Paul Grenier que l’action prend vite racine. Depuis lors, chaque année, une quarantaine de participants, « âgés de 10 à 90 ans », s’inscrivent à ses ateliers gratuits, organisés en étroite collaboration avec le centre social des Salines, le centre U Borgu et l’Association des Jardins de l’Empereur. Durant trois mois, ces comédiens amateurs, novices ou confirmés, issus de toutes les tranches d’âge et de toutes les catégories socio-professionnelles, y préparent un spectacle qui sera ensuite joué au sein même des lieux de vie de différents quartiers de la ville. Le but étant d’attiser la curiosité de personnes qui ne sont jamais allées au théâtre et qui ne s’y sont jamais intéressées, dans une dimension sociale soutenue par la Capa et l’Etat.

Le projet, très souple, permet même d’adapter les ateliers à l’emploi du temps des participants, afin de leur offrir la possibilité de s’initier au théâtre et d’avoir ne serait-ce qu’un petit rôle. « Certains arrivent même quelques jours avant le spectacle et se joignent à nous. Il y a toujours des rôles à pourvoir, jusqu’au dernier moment », explique Paul Grenier en insistant sur la belle dynamique de groupe que permet ce projet : « Le travail de 40 personnes ensemble est une force. On vit des rencontres improbables et étonnantes ».

Des moments renouvelés chaque année car autour des quelques fidèles qui constituent le noyau dur des « Quartiers », la troupe accueille aussi sans cesse de nouvelles recrues qui ne tardent pas à être adoptées. « Il y a une grande solidarité entre nous, indique Maelys, 15 ans. Je fais partie des plus jeunes et on se sent en sécurité. On prend soin de nous ». La collégienne, qui a commencé l’expérience l’année dernière, n’a pas hésité à se réinscrire cette année aux ateliers. « On y apprend de nouvelles choses, on découvre des auteurs qu’on ne connaissait pas forcément et on réinterprète les rôles différemment », se réjouit-elle. Nouveau venu dans la troupe, Jean-Philippe, 43 ans, a trouvé « ce projet absolument génial » et a « foncé » dès qu’il en a entendu parler. Et bien qu’il affiche déjà une certaine expérience dans le théâtre et dans le cinéma, il confesse avoir appris beaucoup lors de ces ateliers : « On partage, échange et s’entraide beaucoup avec tous les comédiens et c’est super enrichissant ».

Il faut dire, aussi, que la forme même du spectacle se prête à l’échange. En effet, après avoir travaillé pendant plusieurs années à la mise en scène de grandes pièces, Paul Grenier a opté depuis sept ans pour le collage de courts extraits, en français, corse et anglais, autour d’un thème central. « Cela permet de faire connaître au public un très grand nombre d’auteurs. Et puis, les conditions de jeu dans les quartiers ne sont pas faciles : on joue dehors, il y a du bruit… La formule de la scène courte permet de capter l’attention du public et de satisfaire tous les goûts », explique le metteur en scène. Depuis deux ans, les comédiens travaillent ainsi sur le vaste thème « Mythiques ». Chacun, avec ses goûts et ses références, a, dans cette veine, proposé ses scènes cultes afin de constituer le programme. « Il y a du cinéma, du théâtre, des choses très drôles, d’autres plus graves. Et puis, dans « Mythiques » il y a bien évidemment mythe, et du coup on en profite pour revisiter de grands mythes de la tragédie grecque ou encore le mythe de la Révolution. », précise Paul Grenier en détaillant que le spectacle compte en tout 40 scènes dans lesquelles jouent 1 à 8 comédiens. Les « mythes » revisités sont pour leur part aussi divers que Bonnie & Clyde, Eurydice, Charlie Chaplin, ou encore Huis Clos, Jeanne d’Arc au bûcher ou La vérité si je mens. Mais chaque soir, seuls 15 à 20 extraits seront joués. « Depuis qu’on a adopté cette formule, des gens reviennent chaque soir pour découvrir d’autres scènes », glisse Paul Grenier dans un clin d’œil. « En tout, sur les cinq dates, le spectacle rassemble environ 700 spectateurs chaque année. Il y a des gens viennent exprès, d’autres qui passent par hasard et restent, ou d’autres encore observent depuis leurs balcons », ajoute-t-il.

« On a affaire à un public différent chaque fois et j’aime cela », s’enthousiasme de son côté Jérômine, 87 ans, la doyenne de la troupe dont elle est membre depuis 2006. « J’aime aussi le fait de porter l’art dans les quartiers, on a l’impression d’apporter un petit quelque chose ». « On raconte des histoires, on anime la ville. Et les acteurs sont tellement heureux de se dire qu’ils font un petit geste pour leur ville durant cinq soirs », renchérit Paul Grenier. « C’est une fête théâtrale. On est attendus ».

Au-delà de l’intérêt purement culturel, l’expérience unique des « Quartiers » s’avère aussi extrêmement enrichissante de l’avis unanime des participants. Pour preuve, Emilie, qui avait intégré la troupe en 2008, a quitté à regret les planches pendant quelques années pour construire sa vie de famille. 11 ans après, la jeune maman de 33 ans est revenue cette année, plus motivée que jamais. « Ma première expérience du théâtre dans les quartiers a été une des plus belles expériences de toute ma vie, parce qu’avant tout, ce sont des moments de partage absolument fabuleux. On croise des personnes que l’on aurait pas eu l’occasion de croiser dans d’autres contextes. Il y a des gens qui n’ont jamais fait de théâtre de toute leur vie, d’autres qui en font depuis 50 ans, il y a des ados, des personnes handicapées, des personnes âgées. Et au final, on tisse tous des liens formidables. C’est très intense, cela se passe très vite et une fois que c’est terminé, on ressent un grand vide. On a aussi un rapport particulier avec le public car on a envie d’embarquer les gens avec nous à chaque représentation », lance-t-elle des étoiles plein les yeux. Pour son grand retour, la jeune femme a choisi un répertoire très éclectiques allant de On ne badine pas avec l’amour de Musset aux Aristochats de Walt Disney en passant par La Cantatrice Chauve de Ionesco. « C’est aussi cela qui est intéressant. On n’est pas cantonné à une pièce avec un fil conducteur où on joue le même personnage du début à la fin. On est obligés d’être complètement polyvalents et de changer d’état, de personnage, de sexe ou encore de genre », sourit-elle avec de conclure : « C’est vraiment une expérience que je conseille à tout le monde ».

Depuis son lancement en 2001, l’opération « Théâtre dans les quartiers » a permis à près de 500 Ajacciens de s’essayer au théâtre. Une petite dizaine d’entre eux sont devenus professionnels.

Manon PERELLI

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