Société
Plaque de rappel historique.

Vendredi 5 juin s’est déroulée la cérémonie de départ des forces armées de la citadelle d’Ajaccio. Construite entre 1492 et 1775, elle est classée monument historique depuis 2012. Le 17 avril 2015, l’État et la ville d'Ajaccio signaient un protocole d'accord pour transférer la propriété de la citadelle du ministère de la Défense à la ville d'Ajaccio.
Le 5 juin 2020, le colonel Olivier RIBETTE, commandant de la base de défense de Ventiseri Solenzara dont dépend la garnison d’Ajaccio, a signé avec Laurent MARCANGELI, maire d’Ajaccio, le procès-verbal de passation, suivi de la remise des clés et des badges d’accès. Étaient présents, le capitaine de vaisseau Bertrand GAULLIER DES BORDES, délégué départemental militaire de la Corse du sud et commandant de la Marine en Corse, le député de la Corse du Sud Jean-Jacques FERRARA, le secrétaire général de la préfecture de la Corse du Sud, ainsi que les porte-drapeaux d’associations d’anciens combattants et des régiments. Le lieutenant-colonel René MERCURY, délégué militaire adjoint de la Corse du sud, dernier chef d’emprise de la Citadelle Miollis prononçait un émouvant et poignant Ordre du jour.
PMLO

Officiers, sous-officiers, personnel d’active et de réserve et personnel civil de la délégation militaire départementale de Corse du sud.

Nous voici rassemblés en ce lieu pour une cérémonie militaire qui sera simple et sobre comme toutes celles auxquelles nous assistons lorsque nous devons dire adieu à l’un des nôtres tombé au combat. Car aujourd’hui, c’est bien d’un adieu définitif dont il s’agit,celui que nous disons à cette citadelle dont nous étions, depuis de nombreuses années,les tous derniers occupants.

En qualité d’ultime chef d’emprise de ce site de légende, il me revient l’insigne honneur de me faire le porte-parole de tous ceux qui m’ont précédé ici, des grands généraux gouverneurs militaires de la Corse comme des plus humbles soldats qui y ont servi.

Je remercie les autorités civiles et les élus de leur présence qui rehausse l’éclat de cet évènement historique.

Je remercie les chefs de détachement de la garnison d’Ajaccio mais aussi le chef de corps de la base aérienne 126 qui ont bien voulu nous prêter leur concours ces dernières semaines pour nettoyer les presque deux hectares de terrain et les 26 000 m² de surface habitable de cette caserne hors normes. Le travail a été colossal mais rien n’aura entamé l’ardeur et l’enthousiasme de votre personnel qui a fait honneur à vos unités respectives, mêlant, dans une fraternité d’armes dont nous seuls avons le secret, des aviateurs, des marins et du personnel de l’armée de terre.

En cet instant d’exception, de puissants sentiments contradictoires nous animent : l’émotion, bien sûr, de clore aujourd’hui 528 années de présence ininterrompue des forces armées.

En présence du colonel Euvrard, dernier chef de corps du 373è RI et de l’ADC Alain Mercuri, président départemental de l’amicale des 173 et 373° RI, nous avons choisi de méditer un court moment au pied de cette stèle du 373, avant-dernière station sur ce chemin de croix de sortie avant celle du 173 « aio zitelli » en place sur ce mur d’enceinte que nous franchirons dans quelques instants sans esprit de recul.

La Grande Guerre restera en effet à tout jamais le symbole du sacrifice d’une Nation toute entière, porté à son paroxysme. Dans ce cataclysme, tout a commencé ici et les soldats corses, nos pères et grands-pères, n’ont pas été avares de leur sang. Dans leur souvenir se fondent aussi les sacrifices de tous les autres et comment ne pas mentionner ici la figure tutélaire de Fred Scamaroni qui y a trouvé la mort et de tant d’autres résistants corses ?

Un demi-millénaire d’histoire militaire prend fin ce jour et engloutit avec lui tant de souffrances endurées et de sacrifices consentis.

Alors oui, cette cérémonie pourrait être l’occasion de laisser s’épancher la tristesse de nos cœurs, de ressasser nos regrets de quitter cette citadelle qui rayonnait de la force des braves au temps de sa splendeur ou de se perdre dans la spirale de vieux souvenirs d’antan.

Cependant, au-delà de cette nostalgie toute légitime qui nous étreint, il faut plutôt aujourd’hui que nous retrempions nos âmes à la forge des valeurs fortes qui planent toujours sur ces pierres dont la patine du temps fait de la vieillesse de tous les monuments l'âge de leur beauté.

A nous de retrouver, derrière cette magie d’une forteresse venue du fond des âges, le génie et l’ardeur de ceux qui l’ont bâtie et qui, visiblement, n’ont pas attendu notre XXIè siècle pour faire du développement durable. A nous de nous approprier cet élan qui a jailli du plus intime de tous ces soldats des régiments de la Corse, rassemblés pour partir au front et de suivre ce sillon qu’ils nous ont tracé, invitant chaque citoyen à viser haut, à voir grand, à juger large et à se tenir droit.

Immergés une dernière fois au sein de cette magnifique architecture, apprenons ou réapprenons aussi à considérer les petites vicissitudes de nos quotidiens comme des marches qui élèvent plutôt que comme des murs qui entravent.

Enfin, reconnaissons qu’il était temps que cette citadelle, entretenue a minima dans des contextes budgétaires très contraints, renaisse à la vie. Nous sommes tristes de la quitter mais avouons aussi que nous avons souffert de la voir, ces quinze dernières années, ne plus résonner de ces chants que nous affectionnons tant, de ces déplacements martiaux et de ces ordres et contrordres qui font le sel de nos quotidiens. Nous avons souffert de la voir se dégrader et peu à peu ressembler à un village-fantôme, parfaitement indigne de sa condition.

Aujourd’hui, au-delà d’une simple cérémonie du souvenir, nous sommes donc les témoins d’un passage de flambeau, de la transmission d’un legs. Peu de cités en France et même en Europe peuvent se targuer de posséder en leur sein une caserne fortifiée, ancrée aussi profondément dans l’histoire.

Notre tristesse doit alors se teinter d’optimisme : quelle chance pour notre belle ville d’Ajaccio ! Quelle chance pour la Corse ! A elles de saisir cette opportunité de redonner vie à ce joyau, sans commettre le péché mortel qui consisterait à oublier d’où elle vient ni à quel dessein elle a vu le jour, il y a 500 ans.

Tous ensemble, derrière la ville, soyons donc prêts à écrire un nouveau chapitre de l’histoire de cette citadelle qui ne pouvait évidemment pas mourir. Ne restons pas dans des postures attentistes ou de dénigrement. Ne nous arrêtons pas sur le bord d’un chemin qui sera sans doute nouveau et totalement différent mais qui est déjà, à lui seul, la promesse d’une grande aventure.

5 Juin : les autorités civiles et militaires
Les portes drapeaux des associations.
Avant l'intervention du Lieutenant-Colonel MERCURY
5 Juin : les autorités civiles et militaires