Portrait
LILI PISSENLIT

Non, elle n’avait pas cessé d’écrire et moins encore perdu l’inspiration.
Mais lorsqu’elle fait quelque chose, elle le fait à fond. Entre deux jobs à plein temps, celui d’auteur (non, il ne manque pas un « e ») et celui de mère, Lili Pissenlit a vite choisi de délaisser quelque temps non pas la plume mais les projets d’édition.
À présent que le « petit » a grandi, elle n’a pas résisté à l’invitation de son amie et consœur Sophie Laroche qui l’a embarquée dans l’écriture à quatre mains d’un roman pour la jeunesse, Chair de poule, enquête et prise de bec, paru aux éditions Fleurus.

C’est l’histoire d’une drôle de fille, fantasque, généreuse, décidée, qui aime passionnément les mots, les histoires d’amitiés improbables, son île, les fruits bio et déteste la mièvrerie. Il en est qui veulent devenir Miss Monde, avocate, pédiatre, mannequin ou journaliste. Elle, elle voulait être auteur pour la jeunesse. Auteur, oui. Sans « e », merci. Et pas non plus « autrice » ou « écrivaine », s’il vous plaît. L’intention est peut-être louable, mais ça lui écorche un brin les tympans. « Mon féminisme, je le place ailleurs. Par contre, si on arrivait enfin à appliquer le principe du « à travail égal, salaire égal », ce serait bien ! » Auteur, donc. Pour la jeunesse. Ça demande cela dit dit de frapper aux portes de maisons d’édition où on ne réserve pas forcément un accueil chaleureux à une parfaite inconnue qui débarque de Bastia comme une fleur avec ses manuscrits. Il lui aura parfois fallu placer une Doc Martens vieux rose, taille 37 à bout coqué, entre le battant et l’huisserie. Certains appelleront ça du culot, d’autres parleront plutôt de force des convictions.
Toujours est-il est que Lili Pissenlit est bel et bien devenue auteur pour la jeunesse, s’adressant aussi bien aux petits qu’aux pré-adolescents, pour les faire rire comme pour mettre les bons mots des sujets plus difficiles : le poids de la différence ou des souffrances cachées, l’âge et la maladie de personnes chères… C’est ainsi qu’en 2010, elle recevait le Prix Goya découverte, décerné par des élèves de CM1 et CM2 pour Odette ou les tribulations d’une pigeonne qui aborde la question de la maladie d’Alzheimer et des choses que l’on croit préférable de cacher aux enfants afin de les épargner. « Je crois qu’on peut parler de tout, mais pas n’importe comment. Alzheimer est souvent un sujet de plaisanteries pas vraiment fines, et ça m’agace mais surtout, j’avais constaté avec certains enfants que ceux-ci l’associaient systématiquement au grand âge et que ça les travaillait parfois, cette crainte du temps qui passe et la perspective de voir un jour leurs grands-parents ou leurs parents mettre leurs chaussettes dans le réfrigérateur et, surtout, ne plus les reconnaître ou oublier jusqu’à leur prénom. Or non, on peut tout à fait vieillir sans jamais développer un Alzheimer. C’est une maladie, pas une fatalité liée à l’âge. J’avais envie d’expliquer ça aux enfants. Souvent, les adultes n’osent pas leur dire les choses. Pourtant les secrets de famille, ce qu’on ne dit pas ou ne prend pas le temps d’expliquer, c’est lourd. D’autant qu’il y a tellement de choses dont on ne parlera peut-être pas à la maison mais dont l’enfant entendra parler à l’école, au marché ou à la télévision. Je crois qu’il vaut mieux les lui expliquer, plutôt que de le laisser avec des questions sans réponse ou des bribes d’explications vagues ou erronées. Quel que soit que soit le sujet, ne pas répondre à la question d’un enfant, c’est moche ! Et je pense que lui expliquer les choses, c’est le protéger aussi. Mais il faut trouver les mots pour le faire, et c’est là que le vocabulaire est important. »
Depuis le début des années 2000, cependant, la tendance est plutôt à la simplification en matière d’ouvrages pour les plus jeunes ; l’usage du passé simple a par exemple été proscrit chez Hachette pour des classiques comme la célèbre série du Club des Cinq où les descriptions ont du reste été abrégées. Cette propension au « pas trop difficile, hein » voire au « du facile, surtout ! » a plutôt tendance à hérisser Lili Pissenlit, même si elle reconnaît ne pas y avoir été excessivement confrontée. « On ne m’a encore jamais demandé de renoncer au passé simple, à l’imparfait ou au conditionnel. Mais si un jour on doit seulement tourner avec le présent, le futur et le passé composé, là, ça risque de devenir compliqué ! C’est vrai cela dit qu’il m’est arrivé d’entendre : « mais tu crois qu’un enfant connaît ce mot ? »
ou « est-ce que les enfants vont comprendre ? » Pour ma part, j’ai plaisir à mettre du vocabulaire dans mes textes, avec l’idée que l’enfant soit curieux et se tourne vers un adulte ou ouvre un dictionnaire pour en savoir plus. La curiosité est une chose géniale. Pour moi, le livre pour enfants a ce devoir-là : créer de la curiosité, offrir plus de mots pour mieux exprimer ce qu’on ressent, permettre de dire et d’imaginer plus grand, plus loin et avoir un éventail plus large pour t’adapter au milieu dans lequel tu te trouves. »
Cela étant, la question qui a le don de la tétaniser, c’est l’inévitable « mais c’est un livre pour quelle tranche d’âge, ça, au fait ? » Difficile, pour elle, d’étiqueter des ouvrages les siens comme ceux des autres- de cette manière. « Ben… je ne sais pas ! Ça dépend avant tout de l’enfant. J’en connais qui ont commencé à lire la série des Harry Potter dès 7 ans ou qui à 9 ans avaient déjà lu les trois tomes des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol. Comme je connais des adultes qui sont fans d’Ernest et Célestine, d’ailleurs…
Tout ce que je sais, c’est que si l’enfant a faim, il faut le nourrir. Et ne surtout pas estimer que s’il n’a que 7 ans, il ne faut pas lui donner un livre censé être destiné à des 10-12 ans. Si cet enfant est un lecteur passionné, pourquoi le lui refuser ? D’autant qu’à 10 ans, il aura sans doute envie d’autres livres. »
Un livre jeunesse, c’est bien évidemment une histoire, des personnages, mais ce sont aussi des illustrations et, sauf à maîtriser scénario et graphisme, un auteur va devoir, à un moment ou un autre, travailler en binôme avec un illustrateur. Qu’il n’aura du reste pas nécessairement choisi. De ce point de vue, Lili Pissenlit reconnaît avoir eu beaucoup de
chance dans ses collaborations avec des illustratrices. « Je n’ai pas toujours eu le choix, mais j’ai fait de très belles rencontres qui ont débouché sur de belles collaborations. Cela dit, je ne comprends toujours pas qu’un auteur n’ait pas davantage voix au chapitre lorsqu’il s’agit de la manière dont on va représenter ses personnages. Quand j’écris, je suis en colocation, je vis en colocation avec mes personnages, je vis avec eux dans ma tête, je me les représente. Un livre, c’est un bébé, et parfois tu peux avoir l’impression qu’on te présente une photo de ton enfant sur laquelle on a collé une tête qui n’a absolument rien à voir avec celui que tu as porté ou l’image que tu t’en es faite. Il faut apprendre à lâcher prise. »
Être auteur, c’est un boulot à plein temps. Outre l’écriture proprement dite, puis les échanges avec l’éditeur et l’illustrateur, il y a la promotion de son ouvrage, les dédicaces, les déplacements pour des salons ou des rencontres avec des lecteurs et des interventions en milieu scolaire. Il y a quelques années de cela, après la publication d’une douzaine d’albums ou de romans, Lili Pissenlit a choisi d’être mère à plein temps ; ou au moins le temps que son fils grandisse, nourri de mots, d’histoires, de livres et de réponses à son insatiable curiosité. « J’ai continué à écrire- je crois que je ne pourrais pas arrêter- mais pas dans l’idée de sortir un livre. » Puis, il y a quelques mois, une consœur et amie, Sophie Laroche, lui a lancé une invitation à laquelle elle n’a pas pu résister. « On s’était rencontrées lors d’un
salon, sur le stand d’un éditeur, et nous étions par ailleurs logées dans le même B & B. On a commencé à discuter et le courant est passé. On venait d’univers très différents ; elle a grandi dans le Pas-de-Calais, moi en Corse, et c’était très chouette de confronter nos identités marquées mais aussi celles de nos personnages, de découvrir son monde et de lui ouvrir le mien. On ne s’est jamais perdues de vue, depuis.
Elle a toujours été bienveillante et de bon conseil. Sophie a une grande qualité d’écoute et n’est jamais dans le juge ment. Quand j’ai levé le pied, elle m’a toujours incitée à ne pas tourner la page, à continuer d’écrire en envisageant de présenter à nouveau des textes à un éditeur. Pendant près de deux ans, nous avons tourné autour de l’idée d’un projet commun. Sophie était très tentée par un roman qui se pas serait en Corse. J’étais un peu plus mitigée : par expérience, la vision que les gens ont de la Corse, c’est celle d’un joli décor où passer ses vacances, mais hormis peut-être pour du roman noir, on ne l’envisage pas forcément comme le cadre d’une fiction qui va se vendre… A fortiori si l’auteur est corse. Astérix en Corse ou L’enquête corse ont été des succès, par exemple, mais c’est un regard extérieur sur l’île et ses habitants et ça exploite beaucoup les clichés, même si dans ces deux cas, c’est fait avec un véritable humour.
Par contre, qu’un auteur corse essaie de faire de même, d’exporter un peu de notre caractère et de ce qui fait qu’en dépit des idées reçues, on peut aussi être gentils et drôles, et il se heurte le plus souvent au scepticisme ou au refus ou à un « mais enfin, pourquoi la Corse ? » J’aimerais bien comprendre ça. » In fine, Sophie Laroche a proposé un roman qui se déroule entre Paris et la Corse. Une enquête joliment déjantée où l’on va croiser notamment une poule fashion-victim (mais peut-il en être autrement lorsqu’on est la mascotte d’un grand couturier ?) ; une mouette qui a quitté Wimereux pour « monter » à la capitale et a vite intégré le parisianisme sans perdre son grand cœur de Chtie ; une pigeonne bastiaise mal embouchée mais sur qui on peut compter en cas de coup dur ; un chat végan ; un cochon d’Inde péruvien qui arbore la banane d’un célèbre rocker français et un rat-rappeur. Claire Renaud, éditrice jeunesse chez Fleurus et elle-même auteur pour la jeunesse, se laisse séduire par le projet que rejoint l’illustratrice Mioz Lamine. « Sophie a écrit les parties qui se déroulent à Paris, moi celles où l’action se situe à Bastia, et chacune a apporté ses personnages. Les choses se sont faites de façon très fluide, sans pression ni angoisse. Si je n’ai pas eu à renouer avec l’écriture, j’ai en revanche renoué avec un projet d’édition. Et merci Sophie pour m’avoir invitée dans cette belle aventure. » Elisabeth MILLELIRI