MAESTRI & MAESTRACCI, CARACTÉRISTIQUES DES NOMS CORSES

MAESTRI & MAESTRACCI, CARACTÉRISTIQUES DES NOMS CORSES
S i l’on examine la liste des 1000 «noms les plus portés» en région Corse (données Insee qui en l’occurrence coïncident largement avec celles fournies par les annuaires téléphoniques), on constate, sans surprise, qu’ils sont souvent présents dans l’annuaire téléphonique italien. Mais on découvre aussi que près de 20 % ne noms corses ne s’y trouvent pas (0 inscriptions ; ex. MARANINCHI), ce qui peut être moins attendu. Le pourcentage de noms d’origine vraisemblablement corse s’accroît si l’on prend en compte les noms très peu fréquents en Italie : moins de 10 inscriptions dans le bottin italien, par exemple MAESTRACCI (1 abonné, avec un prénom français, qui n’est d’ailleurs plus répertorié dans le «pagine bianche» en 2011), PERFETTINI (2 abonnés); MARCAGGI (7 abonnés), etc. MAESTRACCI, apparemment transparent, peut être différemment interprété. Le radical issu du latin magister « maître» a plusieurs sens et désigne notamment les diverses corporations au Moyen Âge. Des usages analogues existent en France comme en Italie. Concernant «les métiers» à Calvi au xviesiècle (FF. Battestini 1968) «tous ceux qui se consacrent au soin des hommes et des choses dans une technique sortie déjà de l’empirisme, portent le nom de mastri». C’est donc dans le suffixe que réside l’originalité de ces noms : «La terminaison acce, ou accia, signifie : lorsque le radical est un nom d’homme, «l’endroit où habitent les…»; Albertacce, Cristinacce, Marinacce ; lorsque le radical est un nom de pays, la plage ou le lieu d’émigration en été correspondant: Bastelicaccia, Ghisonaccia» (JM. Rodié]. Le radical de MAESTRACCI, peut se référer à une famille («la propriété des Maestri») ou à un individu désigné par un surnom ou un nom de métier. Ajoutons il n’est pas toujours facile d’établir des distinctions : la famille tire-t-elle son nom d’un toponyme, où le toponyme est-il motivé par un nom de personne ? Les toponymes corses de ce type (graphie IGN) sont fréquents : Maestra (Moncale 2B); Maestraccia (Montegrosso 2B); Maestraccie (Vero 2A); Maestraccio (Zalana 2B); Maestrace (Alata 2A); Funtana Di Maestrelli (Santo-Pietro-Di-Tenda 2B); Ile de Maestro Maria (Porto-Vecchio 2A); Ruisseau de Campu Maestru (Piana 2A); Ruisseau de Maestru (Calenzana 2B); Maistrello (Palasca 2B)
Le nom de famille SIACCI est probablement en rapport avec le toponyme Sia (région de Corse et ancien nom de rivière (aujourd’hui Porto, Ota 2A). Pour les noms de famille sardes (Gallura) SIATZU, SIAZZU on évoque (entre autres possibilités) la même origine (M. Maxia 2002). SIACCI, introuvable aujourd’hui dans l’annuaire italien, est répertorié comme nom d’un mathématicien (Francesco SIACCI, Italie, xixe siècle). Notons que SIA est aussi un nom de famille calabrais dont l’origine n’est pas claire : on évoque notamment une variante abrégée du prénom Desiderio (UTET 2008 I cognomi d’Italia), cf. DESIDERI (Corse et Italie) et en français DIDIER (prénom et nom de famille). MAESTRI DI MURU & MAZZACANI En corse aujourd’hui à côté de muratore (maçon) on a couramment « maestru di muru». On a aussi pour désigner le maçon mazzacà, mazzacanu, mazzacamu… A l’origine on aurait ammazza cane, littéralement «(cailloux) pour tuer les chiens», pour désigner un peu partout (Sardaigne, Ligurie, Toscane, Italie du Sud, Provence…), des pierres tout-venant pour la construction traditionnelle des murs en pierre sèche. Ensuite le type en question en vient à désigner le maçon. Un glossaire médiéval ligurien. atteste massachanus dans le sens de « muratore» (G. Rossi. 1909), même si certains auteurs semblent l’exclure pour la Ligurie : ils notent que le provençal masacan «s’arrête à la frontière politique» (Cortelazzo & Marcato 1992), et ignorent les formes corses qui sont pourtant couramment employées dans les deux sens (matériau de construction et nom de métier). En Italie le nom de famille MAZZACANI peut être issu selon les régions d’un surnom ou d’un nom de métier. La Corse connaît seulement la forme MAZZACAMI (Dans les «Pages Blanches» on a 15 occurrences de Mazzacami, (tous avec des prénoms français et donc probablement portés par des Corses) et un seul Mazzacani (avec un prénom à consonance italienne). Signalons un Mazzacamu en 2000 parmi les pilotes d’un rallye (toprallye.com). Le «nom corse» peut être une variante graphique du nom italien, ou bien être «né en Corse», c’est-à-dire issu d’une variante locale avec –Mqui semble être typique de la Corse du Sud, où le terme est glosé en français «déchets de maçonnerie, gravier, gravillons, pierre tout venant», mazzacamu désignant aussi «le manœuvre qui passe le tout-venant au maçon» selon P. Desanti (matinalatina.com). L’auteur cite De la Foata : «U muratori ripezza la muraglia/ Cù i mazzacami, cù a tarra è cù la scaglia». Toujours dans les textes du Sud, mazzacamu est employé dans une description : «I dui omini, chjecca è chjecca, s’erani carriatu un veru pitricaghju. Ma petri maiò tamanti à cantona, ma petri chjuchi chì pariani scagliuli, ma mazzacamu da fà u riimpiumu. Tutti in coddu i s’erani ghjunti sopr’à locu. Ùn dispuniani nè di macchini nè di feri. À pocu à pocu, aviani alzatu i masgeri à doppiu eppo, dopu, cù tamanta custanzia è vulintà, aviani impiutu à terra bona da fà i fasci» (R. Coti 1987, A signora). SUFFIXES « GRECS » OU CORSES ? Il faut ici signaler que la présence de la terminaison –acci peut être le résultat de «naturalisations» survenues à des époques diverses. C’est le cas par exemple pour DRAGACCI et VOGLIMACCI qui figuraient sur la liste déjà citée des Grecs de l’ancienne colonie de Cargese, inscrits sur les registres génois sous la forme DRAGAKOS et BOLIMAKOS. Les noms de famille CARDOLACCI, CARDOLACCIA, (inconnus en Italie) évoquent le nom de hameau Cardolaccia (Sari d’Orcino 2A) cité en 1845 dans le cadastre napoléonien (sari-dorcino.com). On peut y voir le suffixe «double»: -olu (d’ordinaire diminutif) et -acciu dont on vient de parler. Mais on peut aussi considérer qu’il y a un seul suffixe : – ulacciu sert en effet à former des ethniques : par exemple les Cardulacci sont les habitants Cardu (Cardo-Torgia, en corse Cardu è Turghjà). De même on a Pentulacci pour Penta (par ex. Penta Acquatella 2B) ou Viculacci pour Vicu (Vico 2A). Parfois le suffixe permet certaines distinctions : Pianacci pour Piana (2A), Pianulacci pour Piano (2B). Pour les habitants du hameau de Cardo (Bastia 2B) le suffixe n’est ni -acci ; ni –ulacci mais – inchi : Cardinchi. Certains toponymes de ce type peuvent renvoyer à un nom de lieu ou de personne : Arjolacciu, Figari, 2A (corse Arghjulacciu, radical arghja «aire» ou avec un diminutif arghjola); Bartulacciu, Frasseto 2A (cf. prénom corse Bartolu ou noms de famille d’origine sarde BARTOLU, BALTOLU, qui correspondent à des abréviations de Barthélémy). Notons que ces prénoms peuvent aussi renvoyer à des correspondants de Albert: Albertulaccia dans un manuscrit corse du xiiie siècle. (A. Stussi 1993 : «Corsica, 11 novembre 1220»). Comme les noms de famille similaires, le toponyme Cardolaccia peut renvoyer à Cardu comme à Cardolu (les actes anciens attestent CARDOLI en 1805 à Bastia). Qu’il s’agisse ou non du suffixe en question, les noms de famille actuels sont aujourd’hui systématiquement toscanisés (type BERTOLACCI ; cf. le toponyme Bartulacciu) mais les actes anciens (xviiie et xixe siècles) présentent des variantes plus conformes au système corse : BIANCULACCI, PORTULACCI, FROMBULACCI (FROMBOLACCI), PAULACCI (PAOLACCI), PETRULACCI (à Cargese, PETROLAKIS aujourd’hui PETROLACCI). Ces exemples témoignent d’une tendance à la «corsisation» (inconsciente) des noms de famille, vivante encore aujourd’hui à l’oral, et observable il n’y a pas si longtemps dans la pratique écrite. À cette époque la maîtrise de la langue officielle (toscan ou français) était limitée y compris chez les «clercs», contrairement aux fables récurrentes relatives aux bergers corses récitant par cœur des vers des poètes classiques italiens, à une époque où les populations de l’Europe sont en majorité analphabètes. «Au xixe siècle, les voyageurs romantiques, notamment Goethe, s’étonnent d’entendre des gondoliers vénitiens ou des bergers corses citer de mémoire des strophes entières de la Jérusalem délivrée» (J.P.Bartoli, weblearn.ox.ac. uk). Rappelons ici qu’en Italie même vers 1871 près de 70 % de la population était analphabète (T. De Mauro 1984: Storia linguistica dell’Italia unita). n