Pour le réalisateur insulaire Miché D’Onofrio, qui était dernièrement un des invités du festival du film engagé Camera Pulitica, humour et cinéma politique ne sont pas incompatibles.
Vous avez réalisé deux courts métrages, Tutti in Casa Cumuna sur le thème des élections en Corse, et Morra Murrina sur la morra, la culture et la langue. Vous définiriez-vous comme un réalisateur politique ? Pas vraiment. J’ai choisi le ciné ma comme mode d’expression parce que j’ai envie de raconter des histoires qui divertissent et amusent les gens. C’est pour ça que je fais de la comédie. En même temps, j’essaie aussi de transmettre et partager notre culture, notre identité, et ce qui touche à la Corse. Il y a une forme de militantisme dans ma démarche, mais ce n’est pas mon objectif premier. Mon but est avant tout de raconter des histoires et de toucher les gens. Souvent, on considère la comédie comme un genre mineur qui ne peut pas aborder des sujets sérieux. Pourtant, pour moi, c’est tout l’inverse. La comédie permet de traiter des thèmes profonds comme la politique ou des problématiques sociétales. Elle peut pointer du doigt des vérités tout en faisant rire. Les Italiens des années 70 étaient des maîtres en la matière. Avec leurs comédies, ils dénonçaient des injustices sociétales et politiques tout en divertissant. Ce n’est pas parce qu’on rit de quelque chose qu’on ne le prend pas au sérieux. Par exemple, je me moque des promesses électorales non tenues, mais derrière l’humour, il y a une vérité. La comédie italienne des années 60-70: votre inspiration principale ? Je n’ai pas un modèle unique, mais je m’inspire beaucoup du cinéma populaire. J’ai grandi avec les films de De Funès, Belmondo, Pagnol. Ces œuvres généreuses m’ont profondément marqué. Le cinéma italien, que j’ai découvert à l’adolescence, m’impressionne toujours par sa capacité à traiter de sujets sérieux à travers la comédie. Je me nourris aussi de notre patrimoine culturel corse, comme le théâtre de Notini et Rochiccioli qui critiquait déjà les élus et la politique avec humour. Vous êtes un pur produit de l’Université de Corse. Avoir fait toutes ses études sur l’île évite-t-il un certain « formatage » qu’on peut trouver dans les grandes écoles ? C’était un choix délibéré de me former et de travailler ici, car mes idées et mes sujets touchent à la Corse. Mais cela n’empêche pas de rester curieux de ce qui se fait ailleurs. L’audiovisuel en Corse s’est énormément développé ces dernières années. La filière audiovisuelle de l’Université de Corse est très reconnue et professionnalisante, énormément de personnes du continent viennent suivre cette formation. Beaucoup d’anciens étudiants travaillent aujourd’hui sur des tournages insulaires et au-delà. C’est une grande fierté. Le cinéma corse connaît un véri table essor avec cette année Le Royaume, À son image ou Le Mohican et de nombreux courts mé trages primés en festivals. Est-ce une opportunité ? Oui, cette année est particulièrement riche du côté de la production insulaire. Et beaucoup de projets vont arriver. On voit aussi une forte dynamique dans les courts métrages. Cependant, il manque encore une véritable industrie cinématographique en Corse pour avoir les épaules solides financièrement. Pour développer nos projets, nous devons souvent nous appuyer sur des productions continentales qui savent où aller chercher les fonds, qui ont les réseaux. Ce serait un axe d’amélioration essentiel pour pérenniser cette dynamique. Cette question des financements manquants, serait-ce le grand défi du cinéma corse aujourd’hui ? Exactement, c’est le nerf de la guerre. Le cinéma est une indus trie qui coûte cher. Les productions veulent des garanties ce qui limite les projets ambitieux. En Corse, on manque encore de structuress capables de porter des films de grande envergure. Vous avez un projet de long métrage, Aléria 75, là aussi très politique, mais on change de style. C’est un drame historique qui raconterait les deux jours du siège de la cave d’Aléria. C’est un projet ambitieux mais essentiel, surtout à l’approche du 50e anniversaire. Un tel film permettrait de mieux comprendre l’histoire. Mais comme c’est un projet complexe et coûteux, nous cherchons encore une production capable de le financer. Je reste convaincu que cette histoire mérite d’être portée à l’écran.
Propos recueillis par Christophe GIUDICELLI