Politique
par Béatrice HOUCHARD

par Béatrice HOUCHARD

Ces derniers jours, un certain nombre de libraires s’interrogeaient sur l’opportunité de mettre ou non en vedette le livre de Jordan Bardella. Ce que je cherche, tiré par les éditions Fayard à 155 000 exemplaires, bénéficie d’une offensive promotionnelle comme on en voit peu, jusque dans Quelle époque ! sur France 2, où Léa Salamé et ses amis ont quasiment déroulé le tapis rouge au président du Rassemblement national. Vendre ou ne pas vendre le livre ? Les libraires, depuis la loi Lang de 1981, ne peuvent pas refuser une vente. Si un ouvrage réclamé ne figure ni dans leur vitrine ni dans la librairie, ils doivent le commander. Mais rien n’oblige un libraire à mettre Jordan Bardella (ou tout autre auteur) en vitrine s’il n’en a pas envie. D’autant qu’en dehors des grandes surfaces spécialisées (qui représentent 28,4 % des ventes de livres) et des hypermarchés (18,3 %), aucune librairie indépendante (23,7 % du marché) n’a la place d’accueillir tout ce qui se publie. Mais le libraire est aussi un commerçant : il a besoin de vendre pour gagner sa vie. POLITIQUE On avait connu des épisodes semblables avec les ouvrages d’Éric Zemmour et de Philippe de Villiers, eux aussi des auteurs Fayard, de la maison Bolloré. Le dernier livre de Villiers, Memoricide, figure d’ailleurs dans les meilleures ventes cet automne. Il y a quelques années, Marine Le Pen n’avait trouvé aucun « grand » éditeur pour éditer À contre flots et Pour que vive la France. Comme plus tard son père Jean-Marie Le Pen avec les deux tomes de ses Mémoires, elle était allée chercher un « petit » éditeur ami avant, finalement, de mettre ses ouvrages en ligne gratuitement sur son site internet pour ses campagnes présidentielles.

400 LIVRES DÉTRUITS Chacun réagira donc selon sa conception du métier ou ses opinions politiques. D’un côté, il y a la liberté d’ex pression : Jordan Bardella a le droit d’écrire un livre et Fayard de le pu blier, et chacun a le droit de pouvoir le lire. Mais les libraires les plus hostiles aux livres du président du Rassemblement national peuvent aussi ne pas vouloir gonfler davantage l’exercice promotionnel… ni se fâcher avec certains de leurs clients. Les auteurs d’extrême-droite ne sont pas les seuls à poser des problèmes aux libraires. Récemment, c’est le livre Le cours de Monsieur Paty (éditions Albin Michel), écrit par Mickaëlle Paty, sœur du professeur décapité par un islamiste le 13 octobre 2020, qui a été boudé par certains libraires étiquetés « de gauche ». Parmi eux, une autre sœur de Samuel Paty, Gaëlle, qui tient la librairie La chouette qui lit, à Marciac (Gers). Sur sa page Facebook, on avait pu lire : « Vous êtes bien sûr libres de lire ce livre, mais nous vous serions reconnaissants de ne pas nous le demander. » Les livres à succès de Sylvain Tesson ne sont pas non plus du goût d’un certain nombre de libraires, peut-être les mêmes qui avaient tenté de ca cher, en 2014, Merci pour ce moment, les souvenirs sulfureux de Valérie Trierweiler avec François Hollande. Les ouvrages complotistes, qui se vendent bien, font aussi polémique. Une enquête du quotidien Le Pari sien a montré comment les funestes algorithmes, qui rythment désormais notre vie sur internet, avaient tendance à faire bénéficier ces livres d’une promotion douteuse y compris sur Amazon ou sur le site de la Fnac. Faut-il vraiment mettre en évidence des livres intitulés Qui aime bien vaccine peu, La (bonne santé) des enfants non vaccinés ou On n’a jamais marché sur la Lune ? Plus grave : l’hebdomadaire Marianne rappelle comment des militants d’extrême gauche avaient, en 2019, détruit un stock de 400 livres signés François Hollande, qui donnait une conférence à l’Université de Lille. On frémit devant un tel geste, n’osant imaginer qu’il en annonce d’autres : alors que le conflit au Proche-Orient excite les opinions publiques, l’importation du conflit en France a déjà fait quelques dégâts dans les librairies, où les plus intolérants sont souvent des clients qui ne supportent pas de voir mis en vedette un livre glorifiant le Hamas ou un autre prenant parti pour Israël. On rêve de librairies où toutes les opinions se retrouvent et s’entre choquent. Mais l’époque en décide autrement. Faudra-t-il un jour consacrer cette chronique au retour des autodafés ? Quand on voit que, dans les rues d’Amsterdam, des jeunes gens ont dû crier « Je ne suis pas juif » pour ne pas être tabassés, on comprend que tout est désormais possible.